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Les "cartons rouges" au tourisme



 
  Mexique: Où en est l'écotourisme au Chiapas ?
 

Où en est l'écotourisme au Chiapas ?

Résultat de l'enquête menée sur le terrain par EchoWay : l'écotourisme solidaire au Chiapas n'existe pas. Celui qui s'est crée aura de lourdes conséquences. Enquête menée par Maxime Kieffer d'EchoWay.

> Suite au travail d'évaluation de projets communautaires au Chiapas réalisé par l'association EchoWay et face à tous les problèmes et projets non écotouristiques rencontrés, la position de notre association, en tant qu'organisation indépendante de promotion de projet d'écotourisme et de tourisme solidaire, est délicate. Promouvoir ces projets n'est pas sans risque pour l'environnement et les communautés elles-mêmes. Pourtant, un des problèmes majeurs vient également du type de touriste reçu par ces projets. C'est pour cela que nous avons choisi d'en présenter quelques-uns, avec toutes les réserves que nous nous devons d'émettre, parce que la présence de touristes responsables peut faire les changer les choses et inverser la tendance sur le terrain.

> Les commentaires qui suivent ont pour but de donner l'avis de notre organisation sur la situation du tourisme au Chiapas à tous les organismes concernés par cette activité et/ou rencontrés au cours des investigations.

> L'écotourisme au Chiapas est devenu le fer de lance du g ouvernement local depuis quelques années suite au diagnostic d'une consultante nord américaine qui a présenté ce secteur comme la solution aux problèmes économiques de la région.

> Le gouvernement local, à travers une multitude d'institutions – ministère du Tourisme, Commission Nationale des Aires Naturelles Protégées (CONAP), Commission pour le Développement des Peuples Indigènes (CDI) – et des institutions internationales – Union Européenne à travers le programme PRODESIS, l'ONG Conservation International et la coopération américaine (USAID) entre autres – ont décidé de développer le tourisme dans certaines communautés indigènes.

> Toutes ces institutions, travaillant chacune de manière indépendante et proposant différents programmes de financement aux communautés désirant s'investir dans l'écotourisme, ont donc investi des millions et des millions de pesos pour développer ce secteur.

> À la vue de toute cette bonne attention, tant nationale qu'internationale, et des compétences de tous ces organismes, on s'attend donc à ce que le Chiapas soit La destination écotouristique du Mexique.

> Les brochures et les panneaux publicitaires de San Cristobal de Las Casas (une des principales villes touristiques du Chiapas) ou de Tuxtla Gutierrez, (la capitale de l'Etat), les mailings de promotion du ministère du Tourisme, ainsi que les vitrines des agences de voyage, ne manquent pas pour vendre dans un même package, circuit écotouristique et découverte de la culture indigène.

> Pourtant, sur le terrain, EchoWay a constaté que pas un seul projet n'était réellement écotouristique, pas une structure d'hébergement n'est écologique et les responsables de projets ne sont pas formés à gérer un centre de tourisme et encore moins d'écotourisme. Presque aucun des projets ne finance un projet de développement local ou de protection de l'environnement, et la culture est folklorisée. Bref où est l'écotourisme au Chiapas vendu par le gouvernement et les agences de voyages aux touristes étrangers et nationaux ?

Les exemples illustrant cette information mensongère ne manquent pas.

Il existe environ 13 structures d'hébergement appelées campements dans la communauté lacandon de Lacanjá Chansayab.

> Le gouvernement, par l'intermédiaire du ministère du Tourisme de Chiapas (Sectur Chiapas), a investi énormément d'argent dans cette communauté et offert en 2003 des structures d'hébergement à 11 des 13 familles du villages désirant développer un campement (une ne s'étant lancée dans cette activité que plus récemment, l'autre n'ayant pas été averti de cette aide gouvernementale). Sectur a donné cet argent au   Comisario (responsable municipal élu par la communauté) qui a ensuite fait construire dans chaque campement plus ou moins la même cabaña, en dur, plutôt haut de gamme, avec l'argent qui n'avait pas été détourné. Certaines sont mieux que d'autres, plus belles, plus grandes, d'autres n'ont rien eu tout, on ne sait pas pourquoi. Ou plutôt si on le devine, tout se fait par copinage, par intérêt, par chantage. Le gouvernement toujours, cette fois par l'intermédiaire de la Commission Nationale des Aires Naturelles Protégées (CONANP), a également financé un centre d'artisanat dont les bénéficiaires sont tous issus de la même famille alors qu'elle possède également un campement.

> Toutes ces familles se sont donc retrouvées chacune avec une structure d'hébergement à gérer, toutes privées, sans aucune collaboration entre elles, chacune travaillant de manière indépendante. Le touriste est devenu une source de revenu, il n'existe aucun contact avec la population ou très peu, on reste dans la simple prestation de service d'hébergement et de restauration. Les quelques Lacandones restant qui portent toujours leur tunique traditionnelle le font parce que les touristes le veulent, ou plutôt parce que les personnes mandatées par Sectur pour les former au tourisme, leur ont dit que c'était ce que voulaient voir les touristes… Sans commentaires sur les compétences des formateurs et la vision du ministère sur l'écotourisme.

> Le résultat de cet interventionnisme de l'Etat dans le tourisme est extrêmement négatif . Il a divisé la communauté en injectant massivement de l'argent. Certains en ont profité, d'autres non, étant laissées à la traîne et marginalisées. Beaucoup de frustrations pour celles qui assurent n'avoir jamais été prévenu des projets de l'Etat ou qui n'ont jamais reçu l'aide donnée.

> Il n'existe aucun projet commun de développement ou de protection de l'environnement, aucun campement écologique, mis à part un qui est un peu plus responsable dans ce sens, et qui n'a pas reçu de cabaña du gouvernement ni aucun aide que ce soit, comme par coïncidence. Celui-ci se détache un peu du lot, moins sophistiqué, plus rustique, fréquenté par des jeunes qui restent longtemps, donnent un coup de main, l'ambiance y est plus familiale et chaleureuse. Le centre est également un peu plus écologique que les autres et même si ce n'est pas encore ça, les différences sont visibles : pas de cabaña en dur, alimentation produite localement dont une partie organique, programme de recyclage des déchets, toilettes sèches, un cadre plus naturel. On partage également la vie de la famille, apprend à cuisiner, s'imprègne de la spiritualité de la culture maya et participe aux tâches courantes. Le projet reste cependant là encore privé, c'est une famille qui gère le campement, ce n'est pas un projet communautaire. C'est lui qui reçoit le plus de visiteurs, là encore par coïncidence sûrement. Tout le monde le rejette, le dénigre, il a plein de problèmes dans le village parce qu'il travaille de manière indépendante, refuse aujourd'hui l'aide de Sectur (même s'il avoue qu'il l'aurait accepté à l'époque pour démarrer mais) et reçoit du monde. Il ne s'est pas plié aux règles et conditions des autres campements qui ont voulu imposer des standards de qualité (les standards se basant sur ceux du tourisme classique), un même prix (élevé) dans tous les campements, assurant une sélection des touristes par l'argent, en échange de l'aide financière de l'Etat. Pour résumé, celui-ci n'a pas voulu rentrer dans le cadre et le développement qu'est en train d'imposer le ministère local du tourisme et les agences travaillant dans ce village, ou encore, n'a pas voulu vendre la spécificité de son campement.

> EchoWay estime donc que ces projets ne sont pas des projets de tourisme solidaire ni d'écotourisme, même si ce sont des familles lacandons qui gèrent les structures et que le tourisme peut les aider économiquement. Sauf que tout est privé, si on choisit d'aller dans tel campement, c'est une famille qui va en profiter, pas la communauté. C 'est pour cela qu'il y a beaucoup de clivages entre les familles. Vu qu'il n'y a pas de démarche commune et que chacun travaille pour son compte, il y a une très forte concurrence entre les membres de la communauté. Au départ, les 11 campements formaient pourtant un même groupe, mais très vite des problèmes sont apparus, six sont entrées dans Senda Sur, un bureau de promotion et de commercialisation crée par 21 structures de tourisme à San Cristobal. Celui-ci fonctionne comme une agence de voyage et pour chaque touriste envoyé, la structure reverse 1O% de l'hébergement au bureau. Certains campements travaillent également avec des agences de voyage de Tuxtla, Palenque, etc. On tombe dans un schéma classique du tourisme avec une agence de voyage qui négocie ses prix, impose ses conditions et ses normes, un produit qui au final perd de son authenticité et un prestataire qui doit respecter ces exigences s'il veut recevoir des touristes.

> De loin, le système d'organisation de Senda Sur paraît correct et solidaire, une vitrine pour des projets communautaires. Mais sur le terrain, la situation est différente : des projets privés, pas écotouristiques, des divisions déjà présentes et accentuées entre membres d'une même communauté. De plus, les structures locales ne sont pas au courant de ce qu'il se passe au siège de Senda Sur à San Cristobal, il n'y a pas de projets communs, de démarche commune, les structures sont seulement en attente de recevoir des touristes de leur part.

> De plus, la plupart de ces hébergements sont chers, à 5OO pesos par cabaña, on comprend mieux que ce sont surtout des agences de voyage qui y vont et que les standards soient en train de s'élever et de s'uniformiser.

> Les mentalités ont changé, sont devenues très individualistes, on oublie et on démantèle l'organisation communautaire qui est la base de la culture maya en divisant la communauté. Sectur veut standardiser le tourisme, les agences de voyage viennent mais ne voient dans la culture qu'un Lacandon portant son habit traditionnel. On offre de l'hébergement, ni plus ni moins, on ne fait pas la promotion du tourisme communautaire mais du tourisme dans les communautés. On vend la culture Lacandon , qui au passage n'est absolument pas le peuple originaire de la forêt Lacandon mais de la péninsule du Yucatan. Sectur a fabriqué Le de toutes pièces cette histoire de peuple originel.

> La folklorisation de la culture est très importante. Les agences de voyage vendent l'image des lacandones mais derrière l'impact social est réel, et les agences n'ont aucune conscience de leurs répercussions au niveau local. L'argent dicte encore ses lois au détriment des nécessités locales. Quant aux questions écologiques, on est très loin de l'écotourisme. Le gouvernement a construit des cabañas en béton au lieu d'utiliser des matériaux naturels, il n'y a aucun programme de protection ni de gestion des déchets, rien.

> Les grandes ONGs de protection de l'environnement sont complices de cette fracture sociale et de ce manque de préoccupation environnementale car elles ne font rien pour la conservation. Elles captent des millions pour des programmes de protection et les communautés ne voient rien venir, l'argent reste dans des réunions à Tuxtla ou San Cristobal. Seules quelques interventions sont réalisées pour justifier le minimum et tout le reste mystère, rien de concret n'est effectué. Mais ces ONGs ont besoin de l'image indigène pour obtenir des subventions, donc elles exploitent aussi la culture maya et se rendent complices de cette folklorisation en les laissant dans leur situation actuelle.

> Le gouvernement, en voulant développer des projets touristiques, instrumentalise les communautés et crée une fracture sociale au sein des habitants car tous n'en profitent pas. Résultat : perte d'identité culturelle, conflits entre les habitants, projets à l'abandon, bref situation catastrophique. Tous ces projets ont été construits à la va vite, sans réflexion. On a construit les infrastructures sans que les futurs gestionnaires n'aient reçu de formations, ou alors minimes et insuffisantes. Les choses ont été précipité, les besoins mal évalués, et on paye aujourd'hui les erreurs. Celui-ci essaie de rectifier les choses mais il se heurte à de nombreux problèmes, choc culturel, projets pas intégrés, communautés pas réellement impliquées.

> La démarche à l'heure actuelle est de former les responsables. Sectur envoie donc des formateurs, certains restent un an dans la même structure mais ce sont toujours les mêmes projets, les plus avancés, qui en profitent. Certains se retrouvent donc à nouveau exclus de l'aide gouvernementale, cette fois-ci au niveau de la formation. De plus, ils essaient d'imposer un mode de gestion, d'améliorer la qualité, de formater le tourisme, en gros d'adapter l'offre au marché. Le problème est qu'ils sont confrontés à des modes de pensée différents, des cultures différentes et calquent le mode de gestion de l'industrie touristique classique dans ces communautés d'où des centres qui n'ont pas d'âme et qui se ressemblent plus ou moins tous. Les formateurs n'ont aucune compétence en écotourisme et ne savent pas ce que c'est qu'une structure écotouristique.

> Toutes les informations données, les brochures touristiques, cartes, etc.., ne présentent que les projets subventionnés. Il y a donc un manque d'objectivité et d'impartialité flagrant entre de la part de SECTUR envers tous les projets touristiques.

> Lumal Maya, red indigène travaillant sur le renforcement de l'identité culturelle des communautés, va déposer une plainte devant l'ONU pour violation des Droits de l'Homme. Tous les projets qui veulent se démarquer, qui ne pensent pas comme eux ou qui veulent développer leur propre activité, sont marginalisés, exclus des circuits de promotion et de commercialisation ainsi que des programmes de financement. Certains ont même reçu des menaces en les avertissant qu'ils ne recevraient plus ni de touristes ni de subventions s'ils ne rentraient pas dans le cadre.

> Dans ce contexte et face à cette situation catastrophique, on ne donne pas cher de l'avenir du tourisme dans cette région. Soit toutes les communautés auront changé leur mode de vie traditionnel, rejeté leur culture, et l'on sera alors dans un simple schéma de tourisme classique (où l'on profite de la beauté de la nature et de la richesse culturelle sans rien donner en contribution) ; soit les touristes ne vont plus venir voyant qu'on leur ment ; soit encore certaines communautés vont se rebeller et refuser cette uniformisation, standardisation et folklorisation de leur mode de vie traditionnel. La situation est réellement urgente et préoccupante car plus on attend, plus la fracture engendrée et l'impact environnemental seront marqués. Il sera alors impossible de revenir en arrière et l'écotourisme dans cette région sera définitivement perdu. Il s'agit pourtant du secteur touristique à la plus forte croissance, d'où l'interrogation et les préoccupations sur la stratégie institutionnelle employée.

Maxime Kieffer