Crète : Tant qu’il y aura des terres à vendre
A l’extrême Est de la Crète, des associations se battent pour éviter l’apparition d’un énième méga complexe touristique dans une des zones les plus sauvages de l’île. Une enquête de Julien Vitry, journaliste et membre d’EchoWay. Photos : Manolis Tzantakis
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La Crète va-t-elle continuer encore longtemps à sacrifier sa nature, sa culture, ses traditions, ses côtes au tourisme de masse ? Avec plus de deux millions de touristes par an (essentiellement entre juin et septembre), l’île la plus septentrionale de l’Europe croule sous les projets les plus insensés. Une course à la démesure pour satisfaire une clientèle en quête d’un dépaysement ensoleillé à moindre coût.
Dernière catastrophe écologique et sociale en date, un projet pharaonique à l’extrémité orientale de l’île, dans la région de Sitia, une des plus belles et des plus sauvages de Crète . Une région évoquant la rocailleuse Libye, les steppes du Moyen Orient et dotées de plages de sables fins magnifiques… et encore vierge de constructions. Voilà de quoi expliquer l’appétit de promoteurs peu soucieux de l’équilibre écologique de cette partie de l’île. D’où le projet Cavo Sidéro Resort, lancé par des investisseurs britanniques connus sous le nom quelque peu trompeur de Minoan Group.
De quoi s’agit-il plus exactement ? En bref, le Monastère de Toplou (qui possède une grande partie des terres dans cette région) leur a attribué, sous la forme d’une sorte de leasing pour une durée de 80 ans, 2 500 ha de terrain sur lesquels va pousser ex nihilo un ensemble immobilier (rien d’équivalent dans le reste du monde a annoncé le groupe !) : 5 villages de près de mille unités totalisant 7 000 lits, avec, entre autres, 3 terrains de golf couvrant une superficie de 80 ha, le tout devant être pleinement opérationnel vers 2011.
Les associations écologistes ont vivement protesté et déposé un recours devant le Conseil d’État : le projet fait peu de cas d’un site Natura 2000, et, parmi les nombreux problèmes environnementaux qui sont soulevés, celui des golfs, implantés dans une zone très sèche, fait trembler la population locale. Très gourmands en eau, ces golfs, tout comme l’ensemble hôtelier, va bouleverser un écosystème fragile et pourtant riche d’une végétation et d’une faune endémique : pas moins de 300 espèces de plantes aromatiques et médicinales, la plus grande colonie de faucons d’Eléonore, la seule forêt de palmiers d’Europe qui soit d’origine, etc.
Pire encore, les conséquences sur l’économie de la région, encore essentiellement basée sur l’agriculture et une densité de population au m2 des plus faibles, risquent d’être terriblement déstabilisantes pour une population habituée à vivre en harmonie avec son environnement. L’afflux de travailleurs va lui aussi transformer des villages jusque là peu développés. Bien entendu, l’investisseur britannique, soutenu par les autorités grecques, aussi bien localement qu’à Athènes, a assuré que son projet était « eco-friendly ». Mais alors qu’à proximité d’autres infrastructures hôtelières sont à l’état d’abandon car peu rentables, que le développement d’infrastructures « all inclusive », pénalisant pour toute une partie de l’économie de proximité, provoque une vague de mécontentement croissante au sein de la population locale, pourquoi continuer à construire de tels projets ?
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Certainement car, en dehors du problème posé par les retombées sur l'environnement, en dehors du fait que l'eau douce se fera de plus en plus rare, en dehors des retombées socio-économiques sur toute la région, une autre histoire beaucoup plus silencieuse se joue dans l'achat en masse de ces terres immenses. Quelque chose entre spéculations financières et enjeux géostratégiques. Une problématique que devra résoudre le Conseil d’État saisi par un regroupement de citoyens et d’associations pour faire avorter le projet et qui devait être examiné d’ici la fin 2008.
Texte: Julien Vitry, http://incorrigibles.wordpress.com (collectif de journalistes)
Photos : Manolis Tzantakis
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