Le couvent Santo Domingo sauvé par Toledo
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Son jardin botanique impulsé par le peintre
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Toledo lève les yeux, s'arrête, écoute, note parfois sur un carnet ou invite à le suivre à l'Institut des arts graphiques. Il emmène l'inconnu au secrétariat et tente de s'effacer. Car de plus en plus, le peintre aujourd'hui âgé de 66 ans, refuse : les collaborations, les demandes, les propositions, les interviews, les honneurs, les partenariats. « Je suis fatigué mais je ne peux pas tout laisser tomber. C'est 20 ans d'engagement pour la ville mais oui, il faudrait que je fuie pour peindre. »
Toledo est l'auteur d'une œuvre double, entrelacée, féconde : œuvre bien sûr picturale et une autre éminemment sociale. En enfilant la veste du mécène tout en gardant la chemise d'artiste, Toledo porte aujourd'hui sur ses épaules la défense du patrimoine de sa ville et l'immense honneur d'être le plus grand peintre vivant du Mexique. « Un terrible honneur » précise l'artiste qui toujours dans ses pensées ajoute : « Fuir Oaxaca ne suffirait pas, il faudrait fuir le Mexique. » Mais Toledo rêve à voix haute car malgré la lassitude, il met toujours autant d'énergie pour réunir aujourd'hui des fonds pour payer les cautions des prisonniers de l'Appo. Toledo a été menacé plusieurs fois pendant le conflit et sa maison a essuyé une fusillade.
Institut des Arts graphiques
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Toledo a déjà donné à cette ville de 250 000 habitants, trois de ses maisons pour en faire un Institut des arts graphiques, une fondation de la photographie, un cinéma et deux des meilleures bibliothèques artistiques du pays. Tout est gratuit, les films, les livres, les expos, les conférences.
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« Il y avait trois livres de peinture dans toute la ville quand je suis arrivé ici en 1952, et rien évidemment sur l'art moderne. Pas de galeries, pas de musées, et une telle pauvreté que bien sûr, l'art n'était pas une priorité .» A l'âge de 12 ans, ses professeurs de dessin décèlent « le don » et en parlent à son père, commerçant de chaussures à Juchitan sur la côte pacifique. « Mon père ne voulait pas en entendre parler. Il avait réussi en affaires en partant de rien et me voyait avocat alors que l'école ne m'intéressait pas » .
Envoyé à Mexico à 17 ans pour retenter son lycée, Toledo déserte une fois de plus les bancs pour les vitrines des galeries. Jeune, inconnu, il est pourtant tout de suite repéré, acheté, exposé. A 19 ans, il peut partir en Europe avec l'argent de ses premières peintures et des recommandations de plusieurs galeries de Mexico. « Je suis arrivé à Paris en 1960 avec des lettres pour Octavio Paz, et pour le peintre Tamayo. Le premier m'a donné des visas, le second n'a cessé d'exposer mes peintures. Je leur dois beaucoup » .
Toledo reste six ans à la cité universitaire de Paris et se lie plus d'amitié avec les étudiants étrangers qu'avec le milieu artistique français. « C'était une époque de tension avec la guerre d'Algérie et les Français étaient suspicieux devant ma peau tannée » se souvient le peintre, dont les origines zapotèques éclairent le visage.
Venu en Europe voir la Renaissance italienne, sentir le Guernica de Barcelone et l'atmosphère de Paris, il n'y trouve finalement pas l'essentiel. Il rentre à Juchitan, se marie avec une femme zapotèque et se plonge « dans mes racines, ma culture, les couleurs de l'art local »
Centre de la photographie Alavrez Bravo
Institut des Arts graphiques
Il soutient les mouvements indigènes et s'attire les foudres du PRI, parti éternellement au pouvoir dans l'Etat de Oaxaca et qui garde en mémoire toute atteinte faite à son pouvoir.
De Tamayo à Toledo
Ainsi l'Etat a toujours refusé de collaborer avec l'artiste et n'assure aucun frais de fonctionnement de ces instituts pourtant très visités. Les heurts avec les privilégiés locaux sont monnaie courante pour l'artiste. Car Toledo, par le biais de Pro Oax, association fondée avec les artistes, empêche tout d'abord le couvent San Domingo de devenir un hôtel de luxe puis le Mac Donald de s'implanter sur le Zocalo (place centrale). La légende dit déjà que ces coups de gueule ont, comme par magie, accéléré l'inscription de Oaxaca comme Patrimoine de l'Humanité.
Les couleurs de la ville se ravivent, les rues sont piétonnes, les artistes dessinent aux terrasses et les touristes arrivent, achètent.
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« Oaxaca est la seule ville du Mexique où artistes et artisans vivent décemment. Chacun sait ce qu'ils doivent à Toledo sur ce point, artisan de cette renaissance et artiste de renommée internationale » estime la directrice de la Galerie Arte de Oaxaca . |
Toledo n'évoque guère l'aspect économique des choses, même s'il cherche une suite, un successeur pour les 60 personnes qu'il emploie. « Je voudrais juste lâcher les rênes avant de devenir un " éléphant culturel" , confie l'artiste, en référence à l'appellation populaire des membres du PRI, mais pour l'instant je finance encore et toujours »
Il aime dire qu'il a suivi les traces du peintre Tamayo qui a offert à Oaxaca un de ses plus beaux musées, et continue de croire « qu'un jour, l'Etat comprendra l'importance de l'art et prendra la suite. Ou ce sera peut-être un autre artiste… »
Y aller :
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L'Institut des Arts graphiques se trouve juste en face du couvent Santo Domingo, à six rues au nord du zocalo. La rue s'appelle Macedonio Alcalá. Ouvert tous les jours sauf mardi, de 9h00 à 20h00
On peut y voir à l'intérieur des expositions et la bibliothèque. |